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Littérature française - À chacun ses Cixous, Sartre et Beauvoir

Comme un récent ouvrage de Pascal Quignard paru chez Galilée, Hyperrêve d'Hélène Cixous présente en frontispice une illustration de Leonardo Cremonini, peintre de l'étrange. On y voit une blouse blanche pendre au dossier d'un fauteuil. La lumière surréaliste jette un doute sur la réalité du sujet. De même, cet Hyperrêve, très bel opus de la collection «Ligne fictives», revisite l'absence.

Comment rompre avec le deuil? «J'ai décidé d'en finir avec la machine à vis peur de perdre perdre de peur. Je vais trancher le vertige par le milieu.» Si de telles phrases vous rebutent, ce livre n'est pas pour vous. Sinon, suivez la ligne brisée des mots. Cixous se déplace dans les dimensions invisibles de la psyché.

Il s'agit encore du corps de la mère. Elle l'a souvent décrite, cette mère juive allemande, orpheline des siens, puis veuve en Algérie, finalement «rapatriée» en France. Ève ma mère, aux pertes innombrables, ma vieille heaulmière, écrit-elle dans ce work in progress, plein de mots rares et de néologismes.

Elle se revoit oignant ce corps mourant. Le songe suit le massage: «Or c'est en ces temps-là, au moment où tout est perdu, que je trouverai enfin la réponse à la mort. Le chemin du bonheur dans la douleur: c'est autre-chose-qu'un rêve, c'est l'hyperrêve.»

Formuler l'hyperféminin

Hyperrêve relève de l'autofiction. «Je peins maman», dit-elle simplement à son frère, qui s'enquiert de son travail d'écrivain. Elle suit de nouveau la paralysie qui a gagné ce corps usé. Une vie revient lentement, à rebours du temps. Par la suite, elle se dévêtira de la perte, comme d'une blouse blanche, et sa pensée s'allégera au souvenir de celle qui soulageait les autres.

Hyperrêve mène donc l'expérience universelle du deuil, chaque fois sans guide. «La liste de ce qu'il me reste à perdre s'allonge sous mes yeux», écrit-elle, étirant sa conscience à cette mesure. Insuffisants, les mots valent pourtant mieux que des pis-aller. Grâce à eux, la mer, le ciel et la nuit intérieure se parent de vertus réversibles. Et Cixous avance, lumineuse, entre ses chats.

Dans son Prière d'insérer, feuille volante hors du livre, l'écrivaine distingue deux mots: la fin et l'ultime. Les derniers temps, datés, s'éloignent vers le passé; tandis que les temps ultimes courent vers l'avenir. Tel est l'«hyperrêve», un acte de bonté, intelligent, une langue lyrique de l'essai de vivre. À force de rêves, de mots décomposés et de fils croisés, une spiritualité monte.

Derrida toujours

À la perte d'une mère s'ajoute une autre disparition majeure, celle, en 2004, de Jacques Derrida. Ami, instigateur d'échanges féconds, il a rejoint l'invivable que Cixous tente d'humaniser. «Il nous faut toujours recommencer, disait J. D.», donner la vie à la mort, et puis recommencer à déraper, «on pense de plus en plus à ne pas y penser», et finalement «on meurt à la fin, trop vite». Ces mots attestent que l'échange survit à ce qui a sombré.

Démonstration brillante et généreuse, l'autofiction n'a rien à voir ici avec la confession, ni avec les malversations médiocres du mentir-vrai. À soixante-dix ans, Cixous signe une oeuvre féminine capitale, qui approfondit l'éthique, redevable aux Montaigne, Benjamin, Celan, Bernhardt, auxquels entre autres elle se réfère. Piètre argument que de reprocher au féminisme français d'être trop masculin. Aux limites du pensable, sa création réussit une prise.

Elle a souvent désobéi à son mentor. Qu'on ne se méprenne pas, le deuil n'est pas une affaire de solitude, mais d'absence, ce qu'elle appelle le rêve, «cette sensation-découverte que ce qui est arrivé est en train d'arriver», un point aveugle. L'écrivaine force alors les métaphores, coeur du travail littéraire, à percer ce silence, «un excavement monstrueux du dedans de l'âme, comme une éruption de ténèbre mais incolore».

Le retour de Sartre

S'il y a un fétichisme de la remémoration chez Cixous (voir le sommier de Benjamin), d'autres s'adonnent à un hommage de fantaisie, destiné au grand public. Sartre, roman, de Michel-Antoine Burnier et Michel Contat, éminents sartrologues, fait suite au scénario Sartre, l'âge des passions, signé Claude Goretta.

Ce roman de lecture agréable étale les fragilités d'un Sartre amoureux fou d'une jeune Russe en 1958. Sans doute Lena Zonica, dédicataire des Mots, ouvrage qui scelle l'adieu de Sartre à la littérature en 1963.

Ce portrait amical et accessible, simpliste finalement, ne portera à l'effort de comprendre ni La Nausée ni L'Être et le Néant. Il est vrai que Sartre, roman n'éclaire pas cette époque. Il faut y lire une sorte de témoignage aux dialogues badins, un moment plutôt creux qui résonne en marge de la correspondance inédite entre Sartre et Zonica.

Jeu du marché? Le même éditeur fait paraître une biographie anglo-américaine, Tête-à-tête. Beauvoir et Sartre: un pacte d'amour, par Hazel Rowley. Descendue en flammes à Paris, à juste titre, pour ses erreurs et ses clichés lamentables, cette brique divinise le couple légendaire et place l'amour par-devant leurs idées.

Une telle mièvrerie — voir la photo nue de Beauvoir, un sommet! — discrédite l'accumulation des faits rapportés et, au-delà, les personnes. L'enquête ne s'y constitue pas en point de vue historique. L'existentialisme aurait été un copinage de vedettes et de récitations prédéterminées! Cette biographie à la guimauve fait un très mauvais roman.

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